Dennis Kelly, le poids du temps

C’est l’une de ses premières pièces. Elle n’est pas sans défaut. Et pourtant les metteurs en scène ne cessent de s’intéresser à « Après la fin ».

Après. Après la catastrophe. C’est un thème qui séduit les dramaturges et l’on pourrait réunir un faisceau d’œuvres, plus ou moins intéressantes, plus ou moins fortes, composées dans cet esprit, après les grands et sombres esprits de l’après-guerre, Eugène Ionesco ou Samuel Beckett, notamment.

Eux, évidemment, ont vraiment écrit après l’épouvantable catastrophe de la deuxième guerre mondiale. Il fallait vivre, survivre, il fallait ne pas craindre la férocité, le rire, la vitalité…

Enfermés, embarqués…Une photographie de Simon Gosselin, qui nous permet de voir les comédiens, plongés très souvent dans le noir…

Depuis, par dizaines, des écrivains ont creusé les mêmes sillons. Mais tout le monde n’a pas la puissance d’un Edward Bond ou d’un Lars Norén.

Dennis Kelly, lui, d’une toute autre génération, est né en 1969. C’est un auteur britannique. Il est très connu, très intéressant. En France, on retrouve régulièrement ses pièces. On n’oublie pas, notamment, Occupe-toi du bébé qui date de 2006 et qu’OlivierWerner monta à la Colline cinq ans plus tard. Ou encore L’Abattage rituel de Gorge Mastromas pièce souvent reprise.

Après la fin exerce un ascendant sur les artistes d’aujourd’hui. La pièce avait notamment été jouée en Belgique, dans une traduction et mise en scène de Georges Lini, et ce dès 2011. Le très doué Baptiste Guiton l’a montée la saison dernière au TNP-Villeurbanne, et, cet été, Antonin Chalon, à son tour, a présenté sa version à la Manufacture d’Avignon « off ».

Le jeune metteur en scène citait une interview de Dennis Kelly parue dans The Telegraph, le 27 juillet 2005. Un éclairage intéressant, quelques jours après les très violents attentats qui avaient ensanglanté Londres, trois semaines plus tôt, le 7 juillet, faisant 56 morts et 784 blessés.

De belles lumières, des contrejours, une atmosphère…Photographie de Simon Gosselin/DR.

After the end prenait une particulière résonnance. « La pièce parle de nos comportements, et défend le fait que le terrorisme, aussi terrible qu’il soit, ne peut pas changer notre société – nous seuls le pouvons. C’est nous qui choisissons de devenir des monstres – les terroristes ne peuvent pas faire de nous des monstres. (…) Après la fin parle de territoire et de contrôle. De comment nous nous comportons, et de ce que nous pensons être le bien et le mal. (…). La bonne façon de se comporter en tant qu’être humain est la bonne façon de se comporter en tant que pays. »

Lorsque l’on découvre la mise en scène de Maxime Contrepois, qui s’appuie sur la traduction publiée par L’Arche et signée Pearl Manifold et Olivier Werner on a le sentiment que ce qui l’intéresse est l’affrontement, jusqu’à la sauvagerie, des deux personnages. Le garçon prétend avoir sauvé la fille. Ils étaient au pub, un attentat a tout renversé. Elle a perdu connaissance. Elle se retrouve dans un abri, au fond d’un jardin…Une scénographie de Margaux Nessi.

Plongée presque tout le temps dans le noir, des ténèbres où les visages sont très difficilement discernables, et même les gestes et déplacements –Sébastien Lemarchand- et accompagnée d’un travail vidéo important –création Raphaëlle Uriewicz et Baptiste Chatel, création son et régie-, la pièce est toujours dérangeante et abrupte.

Les deux comédiens sont sensibles et sans peur. Jules Sagot, avec sa puissance, sa présence, et le trouble délétère de Mark, dont on devine assez rapidement qu’il n’est peut-être qu’un manipulateur et pire, un abuseur. Face à lui, Louise, Elsa Agnès, dans la vaillance du personnage et sa peur qui la conduit à dépasser toute raison. C’est par leurs voix, que l’on ressent la vérité des deux jeunes…leurs contradictions, leurs peurs, et leur affrontement, comme la séduction qui circule. Leurs ambivalences en fait.

Autre image de Simon Gosselin/DR

La situation ne cesse de se retourner, jusqu’au dénouement final et à la seule scène où l’on puisse enfin les voir et donc apprécier avec plus de précision leur jeu. Auparavant, on s’en tient à la violence et aux répliques âpres. Maxime Contrepois se plaît à brouiller les pistes. Mais c’est le jeu de cette pièce qui assume sa raideur démonstrative.

Théâtre de la Cité Internationale, La Galerie, lundi, mardi, vendredi, 20h00, jeudi, samedi 19h00. Relâches mercredi et dimanche. Durée : 1h30. Tél : 01 43 13 50 50. Traduction à L’Arche.

theatredelacite.com

Jusqu’au 14 mars.