Rien de plus triste que de voir les théâtres fermer. Rien de plus triste que de croiser Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée rangeant leurs affaires et contraints d’interrompre « Le Cirque invisible ». Mais on peut encore voir ce soir samedi, « Mon dîner avec Winston » et « La Visite ».
On ira vite et l’on reviendra plus tard, car ils seront repris, on ne peut l’imaginer autrement, sur ces deux spectacles. Deux solos, très bien écrits et qui vont à merveille aux comédiens qui les interprètent.
Dans les petites salles du Rond-Point, ce soir, on peut encore applaudir deux personnalités sensibles. On espérait, en écrivant rapidement ce bref article, qu’il y aurait encore une représentation dimanche après-midi. Mais samedi soir, alors que certains spectacles se donnaient encore, la nouvelle de la fermeture de tous les « commerces non essentiels » (sic) est intervenue. Evidemment, discipline d’abord…
Il était prévue, de toutes manières, qu’elle ne joue que jusqu’à la fin de la semaine prochaine, le 22 mars, mais Lolita Chammah a dû s’arrêter plus tôt.
La Visite, composée par Anne Berest est un texte assez inattendu et dérangeant.
Le personnage n’est pas nommé autrement que « la Jeune Femme ».
Première didascalie : « salon d’un appartement de fonction sur le campus universitaire de Saint Paul-Minneapolis. / La Jeune Femme accueille l’arrivée des spectateurs elle porte des lunettes de soleil. »
Trente pages très serrées en Actes Sud/Papiers. Avec peu de ponctuation car la jeune femme a un débit précipité et l’interprète, Lolita Chammah, se plie à cette discipline manière très virtuose.
Cette jeune femme est une scientifique brillante. Elle vit donc sur ce campus de Minneapolis avec son mari. Elle vient d’avoir un bébé. Une petite fille.
Comme c’est la coutume, les cousins du Canada sont venus, chargés de cadeaux, pour honorer cet enfant. Ils ont fait 7 heures de route. Le mari n’est toujours pas là : c’est sa famille à lui…
Etrange texte, dense, on l’a dit, et qui traduit les fluctuations de la pensée de cette jeune femme qu’incarne avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité, Lolita Chammah.
N’en disons pas plus car ce qui est beau c’est de découvrir ce texte, cette femme imaginée par une auteure très douée et qui trouve en Lolita Chammah une interprète remarquable.
Elle a trouvé sa voix, sa voie, sa personnalité à elle. Evidemment qu’elle ne renierait pour rien au monde sa mère, Isabelle Huppert, qui est une admiratrice profonde de sa fille. Mais elle s’est dégagée, Lolita Chammah et on est frappé par la manière dont elle maîtrise, à toute allure car c’est le rythme de cette maman en déroute, le texte difficile. Frappé de voir comment elle change de registre, acrobate n’oubliant jamais le sens. On ne peut qu’espérer revoir ce solo écrit d’une plume aigue par Anne Berest, qui signe également la mise en scène. On devine l’entente des deux artistes et cela donne sa force à la représentation et son sens à ce texte.
Autre spectacle que l’on pouvait encore, jusqu’au samedi 14 mars, voir au Rond-Point. Mon dîner avec Winston, écrit par Hervé Le Tellier. Mise en scène et interprétation de Gilles Cohen, avec la collaboration de François Berland.
Ne racontons pas Mon dîner avec Winston. Il y a de la malice, de la joie, du savoir et le portrait à la fois de Churchill et celui du personnage de Charles. Du beau travail, ciselé et touchant.
Hervé Le Tellier avait écrit Moi et François Mitterrand pour Olivier Broche. Il s’est mis au service de l’idée, du désir de Gilles Cohen, de croiser la vie de Winston Churchill et d’un héros un peu anti-héros, Charles.
Gilles Cohen est un interprète aussi familier du cinéma que du théâtre. Il joue et met en scène. On n’oublie pas qu’il a été un Orgon très singulier dans Le Tartuffe mis en scène par le regretté Luc Bondy, face à Micha Lescot.
Ceux qui ne connaîtrait pas la vie de Winston Churchill, ne sauront pas tout. Mais ils apprendront des faits particuliers, particulièrement touchants de sa construction d’homme, de sa construction psychologique.
Quant au personnage de Charles, on le cerne, avec ses faiblesses et sa douce folie assez rapidement grâce à l’écriture, et grâce à la manière très fine dont Gilles Cohen le joue. On devine les failles de cet homme qui nous apparaît d’entrée tout ce qu’il y a de plus normal, avec son costume d’homme qui revient du travail et attend quelqu’un pour dîner…
Un moment bref, mais dense et qui offre au comédien de déployer toute sa palette. On espère vraiment que ce solo très bien conduit et émouvant, souvent drôle, d’ailleurs, sera repris après les semaines difficiles qui s’ouvrent.
Théâtre du Rond-Point, « Mon dîner avec Churchill », à 18h30, durée 1h00 et « La Visite » à 20h30, durée 1h30. Texte chez Actes Sud-Papiers (13€).
Tél : 01 44 95 98 21