La comédie est merveilleuse. Jean-Paul Tribout la met en scène, jouant lui-même Trivelin. Il a réuni un groupe d’interprètes délicieux. Il surligne un peu l’aspect « sadien » ou « liaisons dangereuses » de la situation.
On ne se lasse pas de retrouver Marivaux et les entrelacs des sentiments contrastés, contrariés parfois, des personnages. Créée le 6 avril 1723 par les Comédiens-Italiens, La Double inconstance décrit principalement les manœuvres d’un certain nombre d’aristocrates pour faire de jeunes paysans leurs jouets. Et, plus précisément, leurs objets de délectation sexuelle, après les avoir dépris de leurs sincères amours.
Des comportements d’une cruauté épouvantable. L’on comprend que le metteur en scène, Jean-Paul Tribout, veuille souligner ce caractère et montrer que le Prince et Flaminia sont amants et complices dans la manipulation de Silvia et d’Arlequin. Mais on comprendrait sans ces scènes ou gestes appuyés.
Ici, il s’agit de crimes. Crimes du Prince : celui de jeter son dévolu sur une Silvia paysanne qui aime sincèrement, et dans la réciprocité, son cher Arlequin. Crime de la faire enlever et de la retenir prisonnière. Crime d’offrir, littéralement, Arlequin à Flaminia, libertine effrontée qui veut ne faire qu’une bouchée du jeune mal dégrossi.
Mais n’en disons pas plus…Il y a des failles…Silvia a remarqué le beau cavalier qu’est le Prince, sans connaître son identité…Le venin s’instille. Personne de pourra demeurer fidèle à soi-même.
Pour incarner ces personnages, il faut de l’intelligence et de la grâce. Répétons-le Jean-Paul Tribout a réuni de belles et attachantes personnalités. Il ne craint pas les faiblesses serviles de Trivelin, qu’il joue finement, Trivelin qui observe et calcule. Xavier Simonin offre sa présence au Seigneur qui, dès le deuxième acte, fait croire à Arlequin que le Prince le tient en grande estime et veut lui remettre des lettres de noblesse à l’acte III. Arlequin, parlons-en : Thomas Sagols, forte présence physique, derrière une barbe des champs, est un excellent Arlequin. Il a de l’énergie, il est amoureux de Silvia, mais il va se laisser bousculer par les belles dames de la cour malgré son cœur pur : « (…) pour l’ambition, j’en ai bien entendu parler, mais je ne l’ai jamais vue (…). Et, plus loin, au Seigneur, justement : « Je vous rends votre paquet de noblesse, mon honneur à moi n’est pas fait pour être noble, il est trop raisonnable pour cela. »
Lisette, petite sœur de Flaminia, est chargée d’entrée de séduire Arlequin. Mais elle échoue. Elle est amoureuse du Prince qui la congédiera lorsque, jalouse, elle humiliera Silvia. Ceci pour dire vite. Ce n’est pas un personnage facile et Agathe Quelquejay lui donne sa douloureuse blessure, par-delà sa grâce.
Silvia, quant à elle, possède la piquante beauté d’Emma Gamet, vive et gracieuse, musicale, idéale. Flaminia est incarnée par Maryline Fontaine. Plus grande, elle domine naturellement les deux autres figures féminines et même Arlequin. La comédienne laisse sourdre ce qu’il faut d’autorité et de cynisme, d’appétits de vie, et laisse aussi transparaître ses fêlures. C’est parfait.
Le Prince, Baptiste Bordet, dessine bien le jeune noble, immature, peu soucieux de morale. Il a repéré Silvia, il la fait enlever, il se moque d’Arlequin. Il n’a d’égard que pour son propre plaisir de viveur sans scrupule. Il n’est pas un personnage sympathique. Il organise ses liaisons dangereuses et si tout finit par deux mariages, les jeunes gens sont floués.
Ajoutons, un décor pratique d’Amélie Tribout, avec apparitions fantomatiques car les regards importent ici ; des lumières bien dosées de Philippe Lacombe, d’harmonieux costumes d’Aurore Popineau et un rythme excellent de la représentation et des interprètes unis par l’art de dire, d’exprimer, d’incarner. Et n’oublions pas combien Jean Anouilh, auteur de La Répétition ou l’amour puni, aimait La Double inconstance.
Lucernaire, Théâtre rouge, à 19h00 du mardi au samedi, 16h00 le dimanche. Durée : 1h20. Tél : 01 45 44 57 34. Jusqu’au 3 novembre.
Précisons que, parfois, Lisette sera jouée par Lou Noerie et Arlequin par Anthony Audoux.
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